Placée en « congé administratif », la présidente de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) Jennifer Carr fait appel à la Cour supérieure de l’Ontario pour qu’on lui redonne ses pleins pouvoirs, selon des documents obtenus par Radio-Canada.
Estelle Côté-Sroka
Publié le 10 juin à 5 h 31 HAE

Jennifer Carr allègue avoir été traitée de manière oppressive et injustement préjudiciable par les membres du conseil d’administration de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC). (Photo d'archives)

Mme Carr allègue avoir été traitée de manière oppressive  et injustement préjudiciable par les membres du conseil d’administration qui ont décidé en avril de la placer en congé administratif pour une période indéterminée, peut-on lire dans un avis de requête déposé au palais de justice d’Ottawa.

 

Grâce à ces procédures civiles, Jennifer Carr souhaite retrouver ses fonctions avec tous les droits, pouvoirs, devoirs et responsabilités qui s'y rattachent. Elle demande également qu’on lui redonne accès à ses courriels, ses outils de travail électroniques, et qu’on lui permette à nouveau d’entrer dans les bureaux du syndicat et de travailler avec le personnel.

Dans sa requête, Jennifer Carr prétend que pendant plusieurs mois, le conseil d’administration a mené une campagne visant à l’évincer de son poste.

La demanderesse invoque que la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif n’a pas été respectée par les membres du conseil d’administration. Elle cherche à obtenir une ordonnance de la cour pour qu’ils s’y conforment et pour que ce qu’elle qualifie de suspension soit annulé.

Le conseil d’administration était tenu de soumettre la question à une assemblée générale extraordinaire, afin que les membres de l’IPFPC puissent décider eux-mêmes si la présidente qu’ils ont élue devrait être exclue de ses fonctions, indique Me Chris Trivisonno, qui représente Jennifer Carr.

La requête vise donc aussi à obliger le conseil d’administration à convoquer une assemblée générale extraordinaire, note dans un courriel l’avocat du cabinet Conway Litigation.

Bien que les derniers mois aient été difficiles pour Mme Carr, sa première préoccupation [demeure] les membres de l'IPFPC, qui méritent un syndicat ancré dans les valeurs de la démocratie, de la transparence et de la représentation.

Une citation de Me Chris Trivisonno, avocat de Jennifer Carr
Un document de cours déposé sur une table

Un voyage à Dubaï controversé?
Les documents déposés au palais de justice d’Ottawa précisent que des tensions ont eu lieu lors de l’assemblée générale annuelle du syndicat, en novembre.

Souffrant de fatigue chronique, de fibromyalgie et de problèmes de mobilité, [Jennifer Carr] a choisi d'utiliser un appareil de mobilité et de demander l'aide d'un assistant de réadaptation pendant cette rencontre syndicale.

En marge de cet événement, la direction des ressources humaines l’aurait avisé qu’elle n’est pas autorisée à participer à un voyage prévu et imminent à Dubaï pour [prendre part à la COP28] en raison de prétendues responsabilités juridiques et de santé.

Jennifer Carr certifie avoir discuté de cette problématique avec plusieurs membres de la direction et partagé ses préoccupations concernant l’absence d’autorité pour restreindre sa capacité à voyager.

Le logo de la COP28 à Dubaï, aux Émirats arabes unis, le 29 novembre 2023.
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La COP28 avait lieu à Dubaï, aux Émirats arabes unis en 2023.

Photo : Associated Press / Rafiq Maqbool

En guise de compromis, Mme Carr a accepté d’être évaluée par un ergothérapeute avant le voyage, malgré le caractère intrusif d’un tel examen, lit-on dans les documents de cour. L'ergothérapeute aurait émis des recommandations préventives en vue du voyage, que Mme Carr se serait engagée à respecter.

Pendant le séjour de Mme Carr au Moyen-Orient, les membres du conseil d’administration auraient décidé de restreindre ses pouvoirs de présidente. En réunion, ils lui [ont retiré] le pouvoir d'approuver les dépenses des administrateurs et [exigé] que les voyages internationaux soient approuvés au préalable par le conseil, stipule l’avis de requête.

Des plaintes déposées contre Jennifer Carr
Peu après, la conseillère juridique du syndicat aurait avisé Mme Carr que quatre plaintes ont été formulées à son endroit, sans en préciser la nature. Selon Jennifer Carr, elles sont toutes liées à des interactions qui ont eu lieu pendant ou autour de l’assemblée générale annuelle.

Une de ces plaintes aurait été résolue depuis.

Les lettres officielles qui détaillent les allégations auraient toutefois été envoyées à son adresse courriel de présidente qui est gérée par quatre employés. Mme Carr estime que cela compromet la confidentialité et l’intégrité des enquêtes.

[Les plaintes ont] causé à Mme Carr une angoisse mentale importante.

Une citation deextrait de l’avis de requête déposé à Cour supérieure de l’Ontario
Jennifer Carr debout sur une scène.
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Quatre plaintes ont été formulées à l'endroit de Jennifer Carr. Elles sont toutes liées à des interactions qui ont eu lieu pendant ou autour de l’assemblée générale annuelle. (Photo d'archives)

Photo : Facebook/IPFPC

D’ailleurs, d’autres éléments du processus de traitement des plaintes n’auraient pas été respectés, selon Mme Carr.

Au début de l’année 2024, les membres du conseil d’administration auraient tenu des réunions spéciales prétendument pour discuter de la procédure des plaintes. Mme Carr aurait été avisée de ne pas y participer, car elle aurait été en conflit d’intérêts.

Autour du mois de février, le conseil d’administration a adopté des résolutions visant à restreindre les pouvoirs de Mme Carr en matière de supervision de l'avocat général et du directeur des ressources humaines.

Lors d’une réunion spéciale tenue environ un mois plus tard, les défendeurs ont prétendu empêcher Mme Carr d'assister en personne aux réunions du conseil d'administration.

Jennifer Carr fait valoir que les tensions ont culminé le 10 avril dernier, lorsque les membres du conseil d’administration ont adopté une motion visant à la suspendre de ses fonctions. Mme Carr indique ne pas avoir participé à cette séance, car on l’aurait avisé qu’elle aurait été en conflit d’intérêts.

Selon les documents de cour, la motion visant à suspendre Jennifer Carr de ses fonctions aurait été adoptée suivant l’avis de la conseillère juridique de l’IPFPC.

Aucun membre ne peut être suspendu ou expulsé de sa fonction ou de son statut de membre à moins qu’une enquête n’ait été menée.

Une citation deextrait de l’avis de requête déposé à Cour supérieure de l’Ontario
La leader syndicale plaide que cette façon de faire ne respecte pas les règles et procédures de l’IPFPC.

Les membres du conseil d’administration sont représentés par le cabinet d’avocats Norton Rose Fulbright.

Les deux parties doivent se présenter en cour le 24 juin.

Le syndicat dit avoir agi de manière conforme
Dans une déclaration écrite, l’IPFPC mentionne qu’il a fait bénéficié et continue de faire bénéficier Jennifer Carr d’une application régulière de la loi à la suite des plaintes officielles qui ont été déposées et qui comportent de sérieuses allégations d’inconduite.

Pour éviter tout conflit d'intérêts ou toute apparence de conflit d'intérêts et garantir l’intégrité du processus de traitement des plaintes, [l’IPFPC] a demandé que des parties externes compétentes et indépendantes examinent les plaintes ainsi que les allégations et fassent des recommandations au conseil d’administration.

Le deuxième plus gros syndicat de fonctionnaires fédéraux dit avoir agi immédiatement et de manière conforme à ses obligations juridiques et à ses politiques et statuts.

[Jennifer Carr a] été mise en congé payé afin de garantir l’intégrité de la procédure en cours pour toutes les parties concernées.

Une citation dedéclaration écrite de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada
Dans sa déclaration écrite, l’IPFPC mentionne aussi avoir déposé des affidavits qui détaillent sa version des faits. Ces documents n’étaient toutefois pas disponibles au palais de justice au moment de publier cet article.

Par ailleurs, l’organisation syndicale maintient sur son site Internet que Jennifer Carr n’a pas été suspendue ni démise de ses fonctions. L’IPFPC mentionne également que le congé de la présidente ne perturbera pas les opérations quotidiennes [...] ni n’aura d’incidence sur ses membres .

Le 11 avril dernier, l’IPFPC a annoncé que Jennifer Carr était remplacée de façon intérimaire par la vice-présidente Eva Henshaw.

Mme Carr a débuté son mandat de trois ans à la présidence de l’IPFPC le 1er janvier 2022. Représentant environ 78 000 employés, l’IPFPC est le deuxième plus gros syndicat de fonctionnaires fédéraux.

Estelle Côté-Sroka
Radio-Canada
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2079135/presidente-ipfpc-jennifer-carr-cour-superieure-ontario